Le module d’enregistrement des ventes, obligatoire auprès des restaurateurs depuis le 1er novembre 2011, était envisagé comme une solution pour contrer l’évasion fiscale. En effet, avec le secteur de la construction et celui de la contrebande du tabac, la restauration était un domaine prioritaire pour Revenu Québec. Cinq ans après la mise en place du projet pilote, comment les restaurateurs perçoivent-ils le MEV ?

 

Selon François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ), les restaurateurs étaient bien préparés : « Pour nous, dans l'industrie, c'est totalement intégré. […] Dans le cas de nos membres, ils étaient déjà installés à 80 % au moins six mois avant [le 1er novembre 2011]. »

 

Cette intégration quasi-complète pourrait s’expliquer par les concessions obtenues par l’ARQ de la part du gouvernement, comme le remboursement des coûts d’acquisition et d’installation des MEV ainsi qu’un programme de subvention pour l’achat d’équipement compatible au MEV. À eux seuls, ces gains totalisent environ 80 millions de dollars.

 

De plus, l’installation du MEV ne semble pas problématique pour les restaurateurs. Pour Mario Isabelle, propriétaire du Croissant Chaud de Coaticook, l’installation a duré une journée seulement. « Jusqu'à maintenant, je n’ai pas eu de problèmes [avec le MEV], ajoute-t-il. De toute façon, il fallait s’adapter, alors on s’est adapté tout de suite au début. »

 

L’adaptation n’est cependant pas la même selon l’aisance qu’on a avec la technologie. Selon M. Meunier, avant l’arrivée du MEV, 40 % des restaurants facturaient en mode manuel. La présence d’un MEV oblige les restaurateurs à avoir recours à un système d’enregistrement des ventes (SEV) compatible au MEV, c’est-à-dire soit un système points de vente, soit une caisse enregistreuse. « Les systèmes de points de vente ont aussi pour qualité d'assurer une meilleure administration [...], renchérit M. Meunier. Le MEV a obligé l'industrie à finalement profiter des avantages qu'offre la technologie. »

 

Cependant, malgré les avantages, la mise en place du MEV a causé quelques inconvénients. Chaque mois, les restaurateurs ont l’obligation de produire un sommaire périodique des ventes (SPV) et de le transmettre à Revenu Québec avant le dernier jour du mois suivant. Le moindre oubli est impardonnable. Roland Michon, chef traiteur à Magog, a dû payer 200 $ pour un seul oubli : « J’étais parti en vacances, j’ai oublié un mois. Mais au lieu de m’envoyer un avertissement, [Revenu Québec envoie] directement une amende, alors je trouve ça très insultant. […] C’est du vol légal. »

 

Mario Drouin, du Casse-Croûte La Fringale d’Asbestos, aurait également préféré recevoir un avis plutôt que des amendes : « Les deux fois où j’ai oublié [en trois ans], il n’y a pas eu de pardon, ça a été des amendes tout de suite. J’ai trouvé ça un peu dégueulasse. »

 

Selon Revenu Québec, du 1er septembre 2010 au 31 octobre 2012, 15 956 inspections ont été effectuées dans les restaurants. De ces inspections, 1433 avertissements ont été émis et 3765 constats d’infractions ont été remis. 52 % de ces constats ont été délivrés pour l’une des raisons suivantes : non-remise d'une facture contenant les renseignements prescrits, remise d'une facture non produite par un MEV ou absence d'un registre tenu selon les règles en vigueur. Un problème constaté auprès des membres de l’ARQ.

 

« Les gens qui ont peut-être le plus de problèmes présentement [sont] les gens avec service au comptoir qui doivent subir les interventions abusives des inspecteurs de [Revenu Québec], explique M. Meunier, notamment parce qu'ils jugent qu'il n'y a pas eu de remise de la facture en mains propres […]. C'est une pratique qui est extrêmement détestable et extrêmement contraignante […]. »

 

Même si le MEV n’était pas la première option favorisée par l’industrie de la restauration, M. Meunier tient cependant à ajouter que le milieu souhaitait collaborer :

 

« [Il] y a encore des gens pour qui c'est quelque chose qui n'aurait jamais dû exister, mais il y a un autre groupe dans l'industrie qui jugeait important de s'attaquer au problème d'évasion fiscale, parce [qu’elle] était cause d'économie souterraine [et] de compétition déloyale et [qu’il] fallait trouver une manière de faire [pour que] tout le monde travaille aux mêmes conditions et aux mêmes règles. [Le] MEV pouvait apparaître, malgré ses défauts, comme étant un moyen visant à assainir le marché. »

 

Est-ce que le gouvernement a réussi son pari face à l’évasion fiscale ? C’est ce que vous saurez dans la conclusion de notre série d’articles.