C’est François Longpré des Touilleurs qui m’avait mis sur la piste de la Société-Orignal. Intrigué, j’étais allé sur le site de l’organisme. Et là, ô surprise ! c’est un véritable manifeste en faveur d’une agriculture plus humaine qui nous attend. 

« L’agriculture de notre temps est dirigée par quelques marionnettistes qui handicapent notre capacité d’avancement, faisant de celle-ci leur chasse gardée. Dans leurs excès d’ingérence répétée, une poignée de poids lourds dictent prétentieusement la recette du succès de notre agriculture. De ce fait, Société-Orignal se libère du cordon ombilical qui la relie à cette conception paternaliste du mode de vie agricole. »

Il y a longtemps qu’un texte aussi revendicateur avait sévi dans l’univers agricole.

Mais avant d’aller plus loin, je me fais gentiment remettre à l’ordre par Alex Cruz, l’un des deux initiateurs en 2011 du projet Société-Orignal. L’autre étant Cyril Gonzales. « En premier lieu, nous aimerions spécifier que nous sommes une entreprise privée et non un organisme, coop ou autre. Nous croyons qu’il manque justement de jeune entrepreneuriat dans le paysage agricole du Québec en ce moment. »

 

Disant n’appartenir « à aucune chapelle », Alexander Cruz avoue tout de même que « les valeurs de l’Union paysanne collent définitivement plus à nos ambitions. Pour nous, le vrai débat qu’offre l’Union paysanne, est celui de donner le choix à la liberté d’association pour les familles agricoles québécoise. Dans un contexte démocratique, l’Union des producteurs agricoles (UPA) est une (dictature syndicale), deux termes que tout oppose. » 

 

Développer la créativité agricole

Mais ça fait quoi au juste Société-Orignal ? C’est en fait « une plateforme de création qui développe des produits alimentaires avec des familles et des entreprises à dimension humaine, et ce, partout au Québec. » Le centre de distribution est à Montréal, mais Société-Orignal a aussi des bureaux à Sept-Îles, New-York et Toronto.

 

Les deux acolytes collaborent avec une quarantaine de producteurs agricoles à travers le Québec. « En fait nos valeurs tendent plutôt à vouloir développer les villages éloignés des grandes villes », spécifie Alexander Cruz.

 

À cet égard, teinté d’humour, le site de Société-Orignal est évocateur. Broche à foin, chasse-gardée, fruits et légumes, maquereau économie, produit du tiroir (!) et run de lait, représentent des catégories de produits à développer et à commercialiser. Toujours dans le respect de l’artisan. Pour M. Cruz, si certains font de la trappe, alors que d’autres élèvent des volailles ou des petits gibiers  mais « d’une manière respectueuse, sans rien bâcler, ces démarches peuvent être mises de l’avant pour inspirer un souffle nouveau sur l’industrie actuelle. »

 

Les idées de développement ne manquent pas au sein de l’entreprise montréalaise : caille royale, coquelet, lièvre d’Amérique, agneau nourri aux herbes, salsepareille, sureau, pois de mer, chicoutai, amélanchier, algues, chanterelles, bolets, pavot, kiwi rustique, esturgeon noir, flétan, oursin, moules du Québec, écrevisse de lac, phoque, sirop d’érable, huiles et miels divers, lait entier, crème à 40%, confiture de lait de chèvre et œufs ne sont là que quelques-uns des produits qui sont distribués chez les restaurateurs ou qui font les frais de divers tests de commercialisation. Pour certains produits, le prix peut paraître cher. Comme pour le sirop d’érable - 36 $ pour un 500 ml –, produit toutefois avec plus de litres de sève que le sirop régulier. À cela, Alex Cruz rétorque tout de go : « Quelle est la différence entre un vin de Bordeaux qui se détaille à 1 500 $ et celui à 15 $  ? Et quelle est la différence entre la viticulture et l’acériculture? » 

 

Sortir des frontières québécoises

Respectueux du legs des Premières nations et du savoir-faire de certains producteurs en matière agricole et de culture, Cyril Gonzales et Alexander Cruz se font un point d’honneur de faire découvrir les produits québécois aux plus grands chefs montréalais comme Normand Laprise du Toqué ! ou encore Frédéric Morin et David McMillan de chez Joe Beef. Mais aussi à l’étranger. « Nous travaillons avec plus ou moins 200 restaurateurs sur NYC et Toronto. Il y a des étoilés comme Eleven Madison Park, Daniel, Del Posto, mais aussi des restaurants d’avant-garde comme BUCA, Estela, the grove, Edulis. » Et là-bas, les produits viennent aussi du Québec ? « Oui, notre mandat reste le même, soit de mettre le Québec de l’avant. », insiste Alex Cruz. « Il est primordial de comprendre que les produits que nous partageons sont directement livrés chez les restaurateurs avec nos camions de livraison. » 

 

Oui, mais pour monsieur et madame tout le monde souhaitant aussi découvrir l’huile de caméline (cultivée depuis 3 000 ans en Europe !) ou encore le vinaigre de balconville ou la réduction de sureau et qui n’habite pas la cité du maire Coderre? La boutique Société-Orignal c’est aussi une boutique en ligne, offrant une livraison au Québec et au Canada. Le propriétaire socialement engagé souligne toutefois « qu’il est important de comprendre que les ventes internet sont un appoint pour notre démarche, le détail compte pour moins de 5% de nos ventes. »

 

Bonne nouvelle cependant pour les Montréalais. Les deux activistes propriétaires planifient l’ouverture d’une épicerie dans le quartier Villeray au printemps 2015. En plus d’être une épicerie généraliste, il y a fort à parier qu’on trouvera en descendant une allée, une bouteille d’un bon remonte-pente !