Cela fait une dizaine d’années que cet intrigant restaurant a établi ses quartiers à Québec, dans l’arrondissement Sainte-Foy. S’il a tout de suite fait jaser, j’avoue que de mon côté, j’attendais une occasion spéciale pour l’essayer. Et elle s’est présentée récemment…

J’étais à la fois curieuse, intriguée, mais aussi un brin craintive par cette expérience inusitée. Déguster un plat sans savoir ce qu’il contient? Hum.. Un défi de taille pour moi qui a l’habitude de manger avec les yeux. Mais voilà une opportunité d’ouvrir mes horizons.

Dès le préambule, on est déroutés par le décor qui promet une expérience déstabilisante. Murs comprenant des écritures fluorescentes, petit lounge avec un feu qui crépite… sur un écran, baie vitrée avec des chiens qui se reposent tranquillement, on a littéralement l’impression d’atterrir sur une autre planète.

Puis, on est invité à déposer notre manteau au vestiaire et à ranger nos effets personnels (téléphone, portefeuille, clés, etc.) dans un casier. De toute manière, rien de tout cela ne nous sera utile pour la prochaine heure et demie. Avant d’entrer en salle, on nous explique la thématique du mois : neuf pays seront représentés dans nos plats. Le menu varie mensuellement afin de conserver l’effet de surprise et de combler les habitués qui aiment y revenir fréquemment. Pour nous donner des indices, on nous présente des images pour reconnaître les pays en question.

Notre serveuse nous appelle. Elle se présente. Pour nous, c’est Brigitte. Comme tout le personnel de service du restaurant, elle est non-voyante. Elle nous invite à faire le train, en déposant une main sur l’épaule de la personne qui nous suit. Elle soulève le rideau et puis ça y est. Le noir total. L’obscurité absolue. Pendant un instant, je me laisse envahir par un léger sentiment de panique. Mon rythme cardiaque s’accélère. Je prends une bonne respiration et j’écoute les directives de Brigitte qui se veut rassurante. Elle nous conduit à notre table et on s’y installe, maladroitement, mais un peu soulagés. Puis, nos repères sont bousculés.

Soudain, notre ouïe se raffine. Les conversations voisines viennent jusqu’à nos oreilles tendues. D’ailleurs, combien sommes-nous dans cette salle? À quoi ressemble la table? Qui est autour de nous? Il faut rapidement apprendre à lâcher prise et simplement habiter le moment.

L’aventure est la même pour tous les convives. Une assiette en trois compartiments est déposée devant nous pour chaque service, question d’explorer différentes textures et saveurs. Au préalable, lors de la réservation, on indique nos allergies ou intolérances alimentaires. Pas de gluten? Végé? Pas de problème, on sait s’adapter en cuisine. De notre côté, aucun souci alimentaire. On y va pour la totale, avec en prime, l’accord mets et vins.

Dès que l’entrée est servie, notre souper prend des airs de jeu-questionnaire télévisuel. À chaque bouchée, on tente d’identifier les ingrédients, les épices et le pays qui est représenté. Tout au long, on tente aussi de deviner les vins : un rouge? un blanc? quel cépage?

Les premières bouchées se passent bien, tout est délicieux, mais à un certain moment, lorsque j’arrive au troisième item, mon cerveau fait des siennes. Il n’arrive pas à reconnaître la texture. C’est croustillant, c’est frit, c’est petit, la forme est irrégulière. Je n’ai jamais goûté quelque chose de pareil. Il me vient rapidement une idée saugrenue. Et si on me servait des insectes grillés? Incapable de dissocier mon image mentale de la réalité, je n’arrive pas à terminer cette portion de mon plat même si le goût me plaît.

Les plats principaux suivent et je me sens plus en terrain connu. J’arrive bien à distinguer une crevette, des côtés levés et de la viande. Le dessert se laisse aussi déguster aisément. Si ce n’est du fait que j’ai passé la soirée à essayer de trouver ma coupe sur la table, j’ai l’impression de m’en être plutôt bien sortie.

Le repas terminé, on reprend le chemin vers la lumière. C’est à ce moment qu’on prend conscience de notre chance. Nous, qui pouvons voir à nouveau. Une pensée nous traverse l’esprit pour Brigitte et les autres membres de l’équipe. On nous invite ensuite à passer devant la cuisine où on nous présente les plats. Je n’en reviens pas à quel point j’étais dans le champ gauche. Si j’avais bel et bien reconnu certains items et ingrédients, leur présentation et leur aspect sont totalement différents de ce que j’avais imaginé. Et qu’étaient mes soi-disant insectes grillés? Tout simplement des câpres frites! J’admire l’originalité.

Au-delà de nous faire vivre une expérience culinaire unique, le concept de ce restaurant nous sensibilise à la réalité des personnes non voyantes. On saisit que tant qu’on n’a pas vécu quelque chose tangiblement, impossible de le comprendre entièrement.

À vivre au moins une fois dans sa vie!

Note : 
7.5 /10

Ce qui m’a le plus marqué de ma visite : 
Le concept d’obscurité

La spécialité de la maison : 
Cuisine du monde

Le repas principal le plus cher au menu : 
Menu découverte avec l’accord de vins, 65,95$

Le repas principal le moins cher au menu : 
Menu découverte, 42,95$

Est-ce que je recommande ce restaurant : 
Oui

À quel moment de la journée est-ce que j’ai fait ma visite : 
Souper

Les plus : 
- L’esprit ludique
- Le soin du personnel

Les moins :
- Le prix